Luc Bouvarel : une vision européenne de la forêt

31 janvier 2020 écrit par Stéphanie Bonnet

Il a été Directeur Général de la Fédération Nationale des Forestiers Privés de France pendant près de 10 ans et représente la France au sein de la Confédération Européenne des Propriétaires Forestiers (CEPF) dont le siège est à l’European Forestry House à Bruxelles afin de faire entendre la voix des propriétaires forestiers.  Lui-même en possession de 12 hectares de forêt dans la Drôme répartis en parcelles distinctes, il connait toutes les spécificités de la gestion forestière française et notamment le morcellement, et s’emploie à informer et agir pour une stratégie forestière européenne.

Raisonner global au niveau de l’Europe tout en étant ancré dans le quotidien d’un petit propriétaire forestier, telle est la force de Luc Bouvarel qui a œuvré toute sa carrière au développement d’outils de gestion forestière.

Parcours

Luc Bouvarel (né en 1956), est diplômé de l'ENGREF (École Nationale du Génie Rural des Eaux et Forêts) de Nancy. Il est également titulaire d'un DESS de Gestion et Administration des Entreprises de l’Université de Lyon II.
Il commence sa carrière à l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique) au département de recherches forestières dès 1983 en tant qu'ingénieur de recherche. Il occupe pendant huit ans la fonction de responsable du service biomasse forestière et collabore avec des équipes de chercheurs dans le domaine de la forêt sur le sujet de la génétique forestière ainsi que la sylviculture. Il participe d’ailleurs à des projets européens jusqu’en 1990.

En 1991, il devient Directeur d’un organisme de recherche privé dans le domaine de la mécanisation et de la gestion forestière : la station de mécanisation forestière de l'ARMEF (Association pour la Rationalisation et la Mécanisation de l'Exploitation Forestière). Les sujets de recherche et développement s’étendent de la forêt à la scierie. Il participe ainsi à des projets européens et internationaux (Suède, Finlande, Danemark et Canada). Il met également en place des programmes de formation aux métiers de l’exploitation forestière. Son domaine d’activité se concentre alors sur la mécanisation du travail forestier ainsi que sur la conception de nouvelles machines d’exploitation et l’organisation du travail. Il met en place des référentiels pour les bucherons et les débardeurs encore utilisés aujourd’hui par l’éducation nationale.
Durant la même période (1992/1995), il est Directeur Général de la SIFER (Société Industrielle et Forestière d'Etudes et de Rationalisations) en charge de la commercialisation des produits nouveaux. Il participe à l’étude de chantiers en forêt pour de grands groupes papetiers en France. Il travaille alors sur les mesures de sécurité et participe à des ouvrages sur l’organisation des chantiers et leur sécurisation. Le taux d’accidents du travail lié à la forêt était en effet très important à l’époque. Son travail de logistique et d’organisation de chantiers le mène ainsi en Suède et en Finlande. Il travaille sur le lien, entre les besoins des industries de transformation et les machines d’exploitation, à mettre en place pour la sortie du bois de la forêt. Puis, de 1993 à 1995, il est nommé Directeur de la station Centre Ouest de l'AFOCEL (Association Forêt Cellulose), où il pilote une équipe 10 personnes sur les sujets forestiers depuis la graine jusqu’à l’approvisionnement des usines.  

Tout est question de gain de temps et de productivité tout en respectant le milieu dans lequel nous évoluons.

En 1996, il rejoint le CRPF Limousin (Centre Régional de Propriété Forestière) en tant que directeur où il encadre une équipe de 25 personnes sur trois départements (365 000 hectares de forêt privée). Il a ainsi travaillé en contact direct avec les propriétaires sur tous les sujets les concernant aussi bien administratifs que juridiques ou techniques : quel arbre à quel endroit ou comment gérer un peuplement?

C’est à Limoges que j’ai eu à gérer la tempête de 1999 et ses implications techniques mais aussi humaines.

En 2001, il devient Directeur du CRPF Midi-Pyrénées où il manage une équipe de 27 personnes sur huit départements (990 000 hectares de forêts privées)  : mêmes missions qu’en Limousin avec une diversité de milieux beaucoup plus importante.

Enfin, en 2009 Luc Bouvarel a été appelé pour prendre la fonction de Directeur Général de la Fédération Nationale des Forestiers Privés de France et ce jusqu’en 2018. Il accompagne ainsi 78 syndicats départementaux ainsi que 13 unions régionales regroupant alors au total plus de 41000 adhérents. Une période extrêmement dense marquée par un lobbying politique intense auprès de l’Etat, des députés de l’Assemblée Nationale et des sénateurs du Sénat, des élus européens mais aussi auprès des conseils régionnaux. Il est le représentant des forestiers privés au sein de l’interprofession nationale de la filière bois (France Bois Forêt) et de l’association de certification forestière (PEFC).

 

Il est alors aussi rédacteur en chef de la publication « Forêts de France », revue du syndicalisme forestier, et  représentant français, avec un administrateur de la Fédération, au niveau de l’Europe au sein du CEPF (Confédération Européenne des Propriétaires Forestier).

 

Action européenne

« J’ai commencé à aller à Bruxelles 3 fois par mois et mon action européenne a été constante. Je suis devenu un des interlocuteurs  des propriétaires privés forestiers français au niveau des ministères (l’Agriculture, l’Environnement et Finances) mais également au niveau de l’Europe (Parlement et Commission). L’enjeu est d’importance car il s’agit de permettre une bonne compréhension de la problématique forestière au niveau européen afin d’arriver à des prises de positions et à des textes réglementaires non contraignants mais favorables à une gestion économe et durable aux propriétaires privés. Naturellement, sur le domaine propre à la gestion forestière pouvant se traduire par un soutien financier comme dans la PAC, mais aussi dans des domaines qui peuvent avoir des conséquences sur la gestion comme l’environnement, la gestion des échanges commerciaux, la finance et qui sont conduits au niveau européen par d’autres directions générales que celle en charge de la forêt.  Et comme malheureusement, l’Europe n’a pas de réelle stratégie forestière car la forêt n’est pas incluse dans le Traité de Rome, les politiques forestières sont  donc de la compétence des Etats membres. Au niveau européen, d’autres domaines (Environnement, Industrie, Finances, Aménagement du Territoire) élaborent des directives qui s’avèrent contraignantes dans le domaine forestier sans que ces orientations soient toujours cohérentes entre elles et prennent en compte les lois et règlements existant déjà au niveau des Etats. Voilà toute la complexité à laquelle se trouve confrontée la question de la forêt.

C’est la Direction Générale de l’Agriculture au sein de la commission qui a en charge la forêt. C’est elle qui gère l’ensemble de la politique agricole commune et son financement avec la PAC. Il est important de noter que la forêt et les forestiers peuvent bénéficier de subsides européens par l’intermédiaire du deuxième pilier de la PAC dont l’objectif n’est pas la production, positionnée dans le premier, mais l’aménagement rural. Les forestiers ont déjà du mal au sein de cette Direction à être écoutés vis-à-vis du monde agricole. Ce fait est amplifié au niveau des autres Directions (Environnement, Industrie, Finance…). D’abord parce qu’elles n’ont pas en charge la forêt et aussi parce qu’elles ont une vision de la forêt européenne très influencée par des stéréotypes de la problématique de la forêt tropicales et soumissent à des pressions de certaines associations influantes. Ces Directions lorsqu’elles travaillent sur des projets de textes, qui peuvent se traduire par des directives européennes qui, validées, s’imposent aux Etats membres, n’invitent pas forcement des forestiers dans les groupes de travail ou d’experts alors que les sujets concernent en partie la forêt. Par exemple, actuellement, la Direction Générale de l’Environnement travaille sur l’écriture de la stratégie biodiversité pour l’Europe en 2030 avec un groupe d’experts auquel aucun forestier, de terrain, ne participe et je le déplore. »

Un pied dans la forêt

Luc Bouvarel reste connecté à la réalité d’un propriétaire forestier français puisqu’il possède lui-même 12 ha dans la Drôme et a parcouru la France au contact de ceux-ci. « Il est important de bien connaître sa forêt : son écologie, sa production », souligne-t-il. Un parcours aussi complet et dense lui permet de bien comprendre la gestion forestière. Son regret ? Que sur 3,5 millions de propriétaires forestiers en France seulement 1 million adhère à un syndicat forestier, la démarche étant très souvent gage de l’intérêt que porte le propriétaire à sa forêt. « 50ha en propriété apparait comme un seuil où le propriétaire s’occupe de sa forêt en dessous c’est beaucoup plus aléatoire et c’est dommage car il n’y a pas, très souvent, de gestion forestière active, gage de productivité et de gestion raisonnée », regrette-t-il. « Or une forêt qui vieillit se fragilise surtout de nos jours. Avoir pensé à une gestion peut être nécessaire pour assurer sa durabilité, la biodiversité et le maintien de la bonne qualité de l’écosystème».

Luc Bouvarel est un fervent promoteur du document de gestion qui est dans sa forme une particularité française et qu’il faut développer.

Un modèle européen ?

Pour Luc Bouvarel, de manière générale, l’Europe du Nord a une gestion forestière assez active, historiquement du fait de la place de la forêt par rapport à l’agriculture. La notion de filière bois existe concrètement depuis la forêt jusqu’aux produits finis, souvent du fait de l’implication des propriétaires eux-mêmes dans les unités de transformation. Globalement, de la ressource à l’unité de transformation, le circuit économique est bien maitrisé. Mais cela ne semble pas empêcher le décalage entre le rapport technique et le rapport financier des forêts notamment chez les propriétaires forestiers de petites surfaces.

« Pour revenir au niveaueuropéen, il y a des similitudes entre la France et la Finlande en matière de gestion forestière même si l’industrie forestière finlandaise est elle beaucoup plus développée. Il existe une amitié franco-finlandaise forestière avec des échanges en matière de gestion, d’économie, d’environnement et de sociologie ».

Les enjeux d’une politique forestière européenne

Le domaine de l’environnement est plus que jamais sur la table au niveau Européen. Nous gardons en mémoire la publication de la directive Natura 2000 avec toutes ses implications dans le cadre de la gestion mais demain va apporter de nouvelles orientations d’où l’importance d’être actif et présent selon Luc Bouvarel. « En effet l’actualité sur le changement climatique et la question de la biodiversité a induit des positions de la nouvelle Présidente de la Commission qui souhaite mettre en place un « Green Deal » et une nouvelle stratégie pour la biodiversité au niveau européen ce qui devrait impacter la question de la forêt directement. Or une certaine méconnaissance sur la réalité de la problématique de la déforestation touchant la forêt européenne induit  un grand émoi  sociétal à rassurer. »

La question du changement climatique sera la grande gageure des années à venir avec peut-être l’enjeu de conforter au niveau européen la place et la surface des forêts afin de garantir le maintien des rôles qu’elles jouent aussi bien dans l’atténuation de ces changements que sur le fonctionnement du cycle de l’eau et sur la gestion durable de la biodiversité. « Devant ces défis que se donne l’Europe et pour garantir une gestion durable des forêts il faut que soit élaborée une stratégie forestière au niveau européen» rappelle Luc Bouvarel. «  Il est important de proposer des critères de gestion durables qui prennent en compte ce qui est déjà fait dans ce domaine. Il ne faudrait pas que l’Europe ne finance que certains types de sylviculture il est important d’inciter plus de propriétaires à gérer et donc à s’occuper de leurs forêts et donc mettre en place des dispositifs s’appuyant sur de  l’investissement durable notamment par des aides. Nous voyons se mettre en place, en France, le label bas carbone qui va dans ce sens pour favoriser un accompagnement d’une gestion active durable. La commission Européenne prendra elle-même des mesures dans ce sens. »

« Notre présence au niveau européen est encore indispensable afin d’assurer une prise en compte globale de la gestion forestière et la prise en compte du rôle du propriétaire quelle que soit la taille de sa propriété. Nous percevons  une nouvelle préoccupation gouvernementale en France concernant le rôle de la forêt en particulier dans la lutte contre le changement climatique. Mais les forestiers doivent aussi se réveiller et prendre en charge leur destin. La pédagogie forestière, qu’il faut conduire doit commencer au niveau local auprès des maires qui doivent comprendre que la forêt présente sur leur commune, même privée, joue un rôle important et qu’il doivent en faciliter la gestion en commençant par la prendre en compte au sein de leur document d’urbanisme.. Ce qui très rarement le cas actuellement. »

Au niveau Européen, la démarche est un peu la même pour Luc Bouvarel, il faut que l’Europe prenne conscience de ce que font les propriétaires forestiers actifs pour inciter et accompagner les inactifs à gérer leurs forêts. 

 

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