Les enjeux écologiques majeurs des forêts françaises

1 juin 2018

Le mot de Forêt Investissement 

La forêt française est unique mais ses modes d'exploitation sont quant à eux multiples. Plusieurs visions forestières existent, cohabitent, se complètent ou s'opposent.

Pierre Demougeot, ingénieur forestier écologue expose dans cet article ses convictions, parfois de façon provocatrice. Ce sont celles d'un forestier qui a bénéficié d'une formation d'écologie scientifique et qui depuis tout petit, développe une certaine sensibilité pour les être vivants, végétaux compris.

Cette prise de position est bien évidemment sujette à débat. Libre a chacun de constituer sa propre opinion.

Ce billet d'humeur fait suite entre autre à la publication de deux études publiées simultanément par le CNRS et le Musée d'Histoire Naturelle pointant du doigt la diminution significative du nombre d'oiseaux dans les campagnes. Un tiers des oiseaux a en effet disparu en 15 ans.

Pierre Demougeot, par le biais de cet article "coup de gueule " souhaite avant tout suciter l'attention, informer et prévenir des dangers de pratiques risquées pour l'écosystème.

Les écosystèmes terrestres français

Les écosystèmes forestiers sont les plus riches en biodiversité du milieu terrestre. Cela est principalement le fait de leur volume dû à la présence d’espèces de grande taille qui les structurent : les arbres.

Vu les méthodes actuelles qui sévissent dans les milieux ouverts principalement utilisés pour l’agriculture et l’élevage, la forêt et ses lisières font figures de refuge potentiel face à l’utilisation massive de produits chimiques spécialement étudiés pour tuer la biodiversité avec pour l’instant un spectre très large.

Les milieux aquatiques

Les milieux aquatiques ont relativement rapidement bénéficié d’une action publique de protection (convention de Ramsar, directive eau, espaces protégés) pour répondre à leur disparition catastrophique en termes de biodiversité principalement due au drainage à des fins agricoles. L’enjeu de la pêche a pu contribuer à cette attention accrue.

On rappellera tout de même que ce sont les forêts et les sols qui filtrent l’eau potable que nous buvons.

Néanmoins, aujourd’hui, malgré les efforts consentis, la plupart des cours d’eau de France sont pollués par les intrants agricoles et seuls les petits cours d’eau en tête de bassin versant dans des zones avec relativement peu d’agriculture sont épargnés. Les ripisylves profitent un peu de ces politiques même si le mécanisme des aides européennes de la PAC basé sur les photos satellites encourage les agriculteurs à faire du gagne-terrain.

On rappellera tout de même que ce sont les forêts et les sols qui filtrent l’eau potable que nous buvons. Les forêts mondiales produisent également la moitié de l’oxygène que nous respirons, l’autre moitié est produite par des algues des océans. L’état des lieux écologique oblige à admettre l’évidence, les écosystèmes forestiers sont un enjeu majeur pour la biodiversité française. En entendez vous souvent parler ?

L’écologie réelle ?

Aujourd’hui les médias sont remplis de discours sur l’écologie politique qui, à les écouter, commencerait par le tri des déchets, le réchauffement climatique et les plantations de palmiers à huile en Indonésie.

Tous ces thèmes parmi de nombreux autres ont comme point commun de ne pas forcément avoir de rapport direct et concret avec les écosystèmes français qui sont les habitats de notre biodiversité.

Illustration de mon propos :  Je prends souvent comme exemple le bien intentionné « écolo » néo rural qui s’installe à la campagne pour renouer son lien avec la nature, pour arrêter de perdre sa vie à la gagner, etc.  Je force le trait : panneaux solaires, produits bio, sans huile de palme, sans OGM, voiture électrique, anti-nucléaire, vegan, etc. Un jour, la parcelle de forêt qui faisait la beauté de son paysage quotidien est coupée à blanc.

Désastre visuel mais aussi sensation de s’être fait avoir, de trahison, presque d’effraction dans son environnement direct. Hélas, trois fois hélas, il avait omis d’aller faire la connaissance de la petite veuve grincheuse qui habite à trois maisons de là. Celle qui, pour une raison ou une autre (bien souvent le besoin d’argent face à des retraites agricoles misérables) s’est laissée convaincre par le technicien de coopérative ou l’entrepreneur de travaux forestiers du coin que, vu le peu de valeur de sa forêt (taillis de feuillus diversifié avec un peu de pente), la seule solution pour lui faire gagner un peu d’argent était de tout couper.

Il est alors trop tard pour se rendre compte que l’écologie réelle ça commence forcément par l’arbre en face de chez soi.

Tous ces engagements écologiques lointains que cette personne mène se justifient évidemment. Mais ils doivent impérativement être complétés par une attention primordiale et fondatrice portée aux écosystèmes qui composent son environnement réel proche et logent la biodiversité avec laquelle il vit tous les jours. Il est donc utile de se renseigner sur les propriétaires des parcelles forestières qui vous entourent auprès du cadastre ou de la mairie et d’aller faire leur connaissance. Ils peuvent parfois être vendeurs ou sensibles à un discours alternatif, et nouveau pour eux, sur la gestion forestière.

Cette présente analyse s’inscrit dans cet état d’esprit qui essaie de recentrer les bonnes volontés écologiques sur l’amélioration de pratiques tangibles, quotidiennes, à grande échelle qui impactent les écosystèmes forestiers, parents pauvres selon moi et à tort de l’action écologique publique et privée.

A mes yeux, seul le grand public est un déclencheur de changements importants et radicaux des pratiques, si l’on souhaite que ces derniers soient durables sur le long-terme.

Les raisons de cet état de fait mériteraient une thèse de sociologie à elles toutes seules.

 

Des pistes de réflexion ne seront qu’évoquées :

  • Opinion publique et décideurs mal informés et peu alertés par des journalistes principalement parisiens
  • Manque de visibilité de la forêt vue de manière fantasmée soit comme un milieu hostile peuplée de hordes de tiques assassines, soit comme un bien commun originel, pur et inaltérable, délaissé par les hommes ou bien encore comme une corvée patrimoniale dont il faut s’acquitter tous les 40 ans.
  • Manque de connaissance de la biodiversité forestière et des pratiques forestières
  • Désintérêt des héritiers citadins éloignés des réalités des écosystèmes
  • Inertie historique des forestiers avec une culture cartésienne rigide du rendement maximisé de manière rationnelle, très en retard sur les forestiers allemands par exemple
  • Structuration oligopolistique des gestionnaires forestiers payés à la commission qui ne sont pas incités (sauf conviction personnelle) à proposer des modes de gestion alternatifs
  • Appauvrissement des propriétaires ruraux âgés ou volonté de ne pas embêter leurs enfants avec ça

 

L’objectif de cet article vous l’avez compris est donc d’informer et de prévenir.

En ce qui concerne ma vision des écosystèmes forestiers et le bien-fondé de la gestion forestière irrégulière afin de conserver le plein potentiel productif et écologique d’une forêt, je vous renvoie à la lecture d’un article précédent qui y a été consacré :

https://www.the-forest-time.com/fr/la-sylviculture-irreguliere-une-gestion-forestiere-ecologique

L’état d’esprit n’a pas changé depuis le 18ème siècle et les fameuses « éclaircies françaises » : Imiter la nature, hâter son œuvre.

Dans la « nature française », la forêt possède un couvert permanent, ouvert ça et là de chablis qui forment des clairières de semis, elle présente une relative diversité d’espèces d’arbres (au moins 5) et le tassement des sols est limité aux sabots des grands mammifères.

 

Définir des objectifs prioritaires

En bref, selon moi, l’enjeu est de conserver un couvert permanent et de préserver les sols.

En réalité, ces deux points sont structurellement liés et n’en font qu’un.

En effet, la bonne santé de ces sols est le garant de la conservation du potentiel des écosystèmes forestiers à pouvoir se régénérer et à résister aux perturbations externes.

Le couvert assuré par la présence d’arbres permet de conserver les propriétés particulières des habitats forestiers : protection vis-à-vis de la sècheresse (soleil, vent) et de l’érosion (pluie) grâce aux feuilles et aux racines des arbres.

 

Cibler les pratiques impactantes

Une fois qu’on a tenté d’analyser les enjeux (préserver la biodiversité et les habitats forestiers), qu’on les a traduits en objectifs concrets (conserver un couvert et préserver les sols), il est tout de suite plus facile de cibler les points cruciaux des pratiques de l’exploitation forestière où porter son attention et où les efforts sont à fournir pour avoir une action efficace.

En ce qui concerne le couvert, la limitation des surfaces des coupes rases est évidemment un point qui tombe sous le sens.

Personnellement je pense qu’en dehors de certains cas très particuliers soumis à autorisation du CRPF, les coupes rases devraient être interdites (déjà le cas dans de nombreux pays). Cela peut sembler être un point de vue extrême dans le contexte français actuel de la profession de forestier. J’en ai bien conscience mais je m’exprime dans l’absolu de ce qui me paraît logique et juste.

Une coupe rase est la destruction complète d’un écosystème forestier diversifié et fonctionnel qui abouti à sa transformation en une lande/friche qui remettra a minima plusieurs décennies à retrouver un état forestier. Parfois, mais pas systématiquement, cette parcelle dévastée et éventrée sera plantée avec une seule espèce d’arbre, bien souvent résineuse.

Cela aboutira à une pseudo-forêt, plutôt triste, très artificielle, très pauvre en biodiversité et très couteuse en investissement/entretien. Une obligation de réaliser des plantations mélangées feuillus/résineux avec au moins deux essences de chaque et un quotat maximum (ex : 75%) pour l’espèce dominante paraît tout à fait faisable sans pour autant nuire aux objectifs finaux du propriétaire.

Aujourd’hui les forêts de moins de 25 hectares ne sont pas soumises à un accompagnement par les services de l’Etat (CRPF).

Il est donc tout à fait possible de raser en quelques années successives des surfaces très importantes de forêt d’un seul tenant.

Il était à un moment donné question de faire descendre ce seuil à 10 hectares ce qui aurait incité de nombreux propriétaires à s’intéresser à leurs parcelles de forêt. Cela aurait donc donné beaucoup de travail aux gestionnaires forestiers, aux exploitants et aux techniciens du CRPF, mais il semble que l’idée se soit perdue en route.

En ce qui concerne les sols, le tassement par les engins de débardage est une pratique à limiter par un encadrement technique. Ainsi l’établissement de cloisonnements ou chemin d’exploitation qui quadrillent la parcelle et sur lesquels les engins sont obligés de rester pour charger les troncs serait un bienfait immense.

Aujourd’hui ces derniers divaguent souvent sur la majorité de la parcelle même quand ils interviennent sur une éclaircie. Cette pratique de faire des cloisonnements progresse mais mériterait d’être beaucoup plus encouragée.

Globalement une approche bienveillante envers l’écosystème forestier, bien comprise en termes économique puisqu’elle permet de conserver tout le potentiel productif de la forêt abouti inéluctablement à promouvoir la futaie irrégulière. Il serait temps que les entités de la forêt (institutions étatiques, syndicats, médias, fiscalité et pourquoi pas coopératives et experts) s’en saisissent.

Actuellement et de manière très primaire, les forestiers en majorité se sentant critiqués font ce qu’on appelle communément de la « résistance au changement » dans un réflexe corporatiste. Une attitude intelligente et stratège des décideurs aurait été au contraire de se positionner en leader de la futaie irrégulière pour mieux absorber le changement et faire du green-washing comme dans d’autres secteurs.

Ce faisant ils laissent toute la place à une nouvelle génération de forestiers qui pourront répondre à la demande croissante des propriétaires de « forêts-bio ».

 

Imaginons le pire pour s’en prémunir

Nous n’irons pas épiloguer sur le fantasme du bois-énergie, véritable "tarte à la crème" de l’écologisme bureaucratique qui s’effondre de lui-même sous nos yeux. L’idée était quand même de ravager des écosystèmes en exportant l’ensemble de la matière organique présente au-dessus du sol pour faire de l’énergie qualifiée de « verte ».

Heureusement et comme prévu par les forestiers de bon sens, nous n’avons pas vu les forêts françaises englouties par des moissonneuses-batteuses à arbres pour fournir une quinzaine de centrales électriques à bois gigantesques partout en France. En effet, ce n’est pas nouveau, la mobilisation de ces parcelles coûtent plus cher que les profits engendrés. N’en déplaise, aux prix actuels, le bois énergie restera une utilisation parmi d’autres des bois de trituration.

Je me permets un soupçon de prospective dans un autre domaine et soulève une crainte qui je l’espère est infondée mais qu’il vaut mieux avoir en tête, au cas où…

Si ce fait se confirme un jour, la logique voudra qu’on commence à vouloir nous vendre des épandages massifs et réguliers d’engrais en forêt voir peut-être de pesticides.

Depuis quelques décennies nous voyons le modèle agricole conventionnel se transposer en forêt avec des cultures toujours plus standardisées et adaptées à des engins toujours plus lourds qui dégradent les sols. Si l’on continue à suivre cette logique et en retenant les leçons de l’agricole, il est logique de s’attendre à une chute des productivités des parcelles monospécifiques qui ont subi des coupes rases et qui en sont à leur deuxième voir parfois leur troisième rotation. Aucunes données scientifiques à ma connaissance ne permettent d’étayer ce que le bon sens pressent. Pour autant comme en agricole il n’y a, à ma connaissance, pas de budgets alloués à ce genre de recherches qui, il est vrai, doivent être menées en forêt sur des échelles de temps importantes (rotation de 45 ans au plus court).

Si ce fait se confirme un jour, la logique voudra qu’on commence à vouloir nous vendre des épandages massifs et réguliers d’engrais en forêt voir peut-être de pesticides. L’exemple de la populiculture actuelle montrant la voie et pouvant servir de base de travail. A mon sens les coûts sont pour l’instant prohibitifs quand aux revenus supposés. Mais imaginons que pour de multiples raisons nous assistions à un triplement des prix du bois dans les 20 ans qui viennent et les choses seraient tout autres.

L’entrée massive du monde de l’agrochimie dans l’espace forestier serait évidemment une opportunité financière de choix, doublée d’une catastrophe écologique majeure, à bas bruit et à l’abri des regards.

Terminons par une formule simple et de bon sens qui peut suffire à guider les propriétaires forestiers d’aujourd’hui et de demain : La forêt est bien plus qu’un champ d’arbres.
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