A propos du Carbone

30 décembre 2019 écrit par Stéphanie Bonnet

Article corrigé  et validé par Thierry Lamaze

Le sujet du carbone est vaste me direz-vous. Bilan carbone, compensation carbone, taxe carbone… autant de réflexions et mesures prises pour tenter de réduire ses effets dans l’atmosphère. Pour être plus précis nous parlerons ici de dioxyde de carbone, également appelé gaz carbonique dont la formule chimique est : CO2.

C’est avec Thierry Lamaze, professeur en Biochimie et Physiologie Végétale à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, que nous traiterons le sujet. Ce dernier, également chercheur au CESBIO (Centre d’Etudes Spatiales de la Biosphère), travaille, avec d’autres chercheurs, à l’articulation entre le spatial et l’étude de notre environnement et nous parlera dans l’article ci-dessous des conséquences de l’augmentation du CO2 dans le développement des plantes.

Pouvez-vous vous présenter ?

Comme vous l’avez dit plus haut je suis Professeur à l’Université Paul Sabatier à Toulouse où j’ai été nommé en 1995 et je suis également chercheur pour le laboratoire CESBIO. J’ai une formation d’ingénieur agronome que j’ai suivie à Montpellier. Ma thèse de doctorat a porté sur le transport du phosphate inorganique par la racine. Puis j’ai travaillé 15 ans à l’INRA de Montpellier, Versailles et Guadeloupe comme Chargé de Recherche avant de rejoindre l’Université. Je suis spécialisé dans la nutrition des plantes : carbonée (photosynthèse), minérale et hydrique. La photosynthèse est le processus physiologique qui permet de capturer le CO2.

Quel est le rôle du laboratoire CESBIO ?

Notre laboratoire dépend de plusieurs organismes de recherche : l’Université Paul Sabatier, le CNRS, l’INRA, l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) et le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales).

Un des objectifs du CESBIO est de décrire les échanges entre éco-agro-systèmes et l’atmosphère en termes de carbone, d’eau et d’énergie et ce, à large échelle. D’où l’utilité de l’outil satellitaire qui nous permet de décrire les surfaces.

Notre unité fonctionnelle minimale étudiée est la parcelle puis nous passons au bassin versant, à la région, au pays et aussi au continent. Vous l’avez compris, nous travaillons à très large échelle. Le laboratoire s’intéresse en particulier aux flux de carbone entre la surface et l’atmosphère et à la distribution du carbone entre les différents compartiments des agro-écosystèmes. Il est composé de physiciens qui effectuent du traitement d’images satellites (visible, infrarouge, radar, etc.) pour décrire et modéliser les surfaces, et de biologistes dont je fais partie, qui utilisent les données obtenues à partir des images pour simuler grâce à des modèles les flux et échanges de carbone, d’eau, etc..

Un des paramètres majeurs de l’environnement qui conditionne les flux de carbone, que ce soit la photosynthèse ou la respiration, est la disponibilité de l’eau.

Effectivement c’est un sujet qui est largement traité actuellement, je parle du réchauffement climatique. Que constatez-vous à votre niveau ?

Indéniablement, la teneur en CO2 dans l’atmosphère ne fait qu’augmenter depuis l’ère préindustrielle (avant l’utilisation intense des énergies fossiles et avant la déforestation à large échelle). La vitesse d’accroissement du CO2 ne fait qu’augmenter depuis les années 90. A cette époque l’accroissement était d’environ 1 ppmv(partie par million de volume) par an. Aujourd’hui l’accroissement annuel est plutôt de l’ordre de 3 ppmv.

Evidemment il est bon de préciser que la concentration en CO2 varie dans l’atmosphère selon que l’on se trouve dans l’hémisphère Nord ou l’hémisphère Sud, au dessus des océans ou des continents et suivant la saison : elle est plus basse au printemps et en été comparé à l’automne et l’hiver. En effet, d’une saison à l’autre, il est possible d’observer des variations de 10 ppmv. Les variations spatiales sont aussi considérables. Il est évident que la concentration en CO2 est plus élevée à la ville qu’à la campagne au moins le jour quand la végétation est active et fixe du CO2.

Pour vous donner une idée des gradients que l’on peut observer, quand je mesure la concentration du CO2 dans une pièce de TP remplie de 20 étudiants, il est possible d’atteindre 1600 ppmv du fait de leur respiration !

Il s’agit d’un gaz lourd qui se comporte comme un fluide.

Ce gaz est un gaz dit à effet de serre (GES) car il absorbe dans l’infra rouge. Etant donné la température moyenne de surface du globe terrestre (15°C), notre planète émet un rayonnement infra rouge vers l’espace. Tout gaz dans notre atmosphère qui, absorbant dans l’infra rouge, intercepte une partie du rayonnement contribue au réchauffement.

Quelles sont les sources majeures de CO?

Il existe des sources « naturelles » de CO2 comme l’altération de certaines roches ou les événements volcaniques. Pour ce qui est des émissions anthropiques, l’utilisation des énergies fossiles et la déforestation sont les principales sources. Les énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) ont été stockées dans le sous sol il y a des millions et des millions d’années. 

Par exemple, à l’origine le charbon est de la matière organique (principalement végétale) qui a été enfouie sous terre, protégée de l’oxydation et transformée avec le temps. Le charbon est donc constitué de carbone qui a été fixé par la photosynthèse des plantes il y a plusieurs centaines de millions d’années. En brulant des énergies fossiles, on renvoie ce carbone dans l’atmosphère sous forme de CO2. Notre planète a connu depuis toujours de fortes variations de la teneur en CO2 de son atmosphère. Mais ce qui caractérise la variation actuelle est la rapidité du changement. Les changements brutaux de concentration en CO2 pourraient avoir des répercussions majeures sur le fonctionnement de la biosphère et donc pour l’être humain.

On dit que les forêts sont des puits de carbone, est-ce vrai ?

Contrairement à ce que l’on pense, une forêt qui est à l’équilibre ne libère pas de dioxygène O2 et ne fixe pas de CO2 sur un cycle annuel. Donc, il est faux de dire que les forêts sont les « poumons de la planète ». Ce n’est pas le cas quand elles sont à l’équilibre (climacique), c'est-à-dire lorsqu’elles ont cessé de croitre.

Mais la forêt stocke bien du carbone ?

Oui, il ne faut pas confondre flux et stock. Les forets stockent une très grande quantité de carbone dans le bois (le carbone sur pied) et dans le sol sous forme de matière organique (comme l’humus). La déforestation au niveau mondial est catastrophique car elle libère une très grande quantité de carbone. En effet, le bois est pour l’essentiel brulé et la mise en culture des terres est souvent associée à du labour ce qui aère le sol et favorise la respiration des micro-organismes. Ces derniers « respirent » la matière organique du sol dont  le taux va fortement diminuer dans les terres labourées. Ce sont ainsi par ha des centaines de tonnes de carbone qui étaient stockées dans le bois et dans le sol des forets qui seront libérées sous forme de CO2.

Au niveau mondial, on constate malheureusement une diminution des belles forêts. Quand on rase une forêt, l’effet est dramatique, un très important stock de carbone est libéré.

Est-ce ainsi partout dans le monde ?

Non, ce n’est pas le cas en France qui a vu sa surface forestière augmenter depuis plus d’un siècle. La politique forestière y a été très dynamique après-guerre. Des terres que nos arrières grands-parents cultivaient ont été laissées en jachères car difficilement mécanisables. La succession végétale s’est installée pour aboutir à la foret.

Le protocole de Kyoto n’a pas été signé par tous les pays notamment pas par les Etats-Unis. Ces derniers ont néanmoins assuré faire « un geste » pour le climat en laissant en jachère certaines terres agricoles : comme nous l’avons déjà dit, la végétation va alors s’installer jusqu’à voir apparaitre une forêt à l’équilibre sur à peu près 1 siècle (tout dépend des essences, du climat, des sols…). Quand une forêt s’installe, elle devient dans ce cas un puits de carbone puisque le stock augmente progressivement dans le bois et dans la matière organique du sol.

Planter des arbres est donc une solution pour stocker du carbone ?

C’est une solution temporaire et le stockage est lent ... jusqu’à la foret climacique.

Est-ce que cela existe une forêt à l’équilibre ?

Les arbres sont des plantes à mode de photosynthèse dit « C3 » comme environ 95% des espèces végétales. Ce qui caractérise ce mode est que la photosynthèse est principalement limitée par la teneur en CO2 de l’air. Si la teneur en CO2 dans l’air augmente, on peut penser que la photosynthèse des arbres va augmenter. Je ne suis pas spécialiste des forets, mais j’imagine que ce phénomène ne pourra pas se maintenir indéfiniment car si la fixation du CO2 augmente, c’est que de la matière organique s’accumule dans le système. Les arbres ne peuvent pas monter jusqu’au ciel ….

Il faut aussi distinguer les effets à court terme et à long terme. A court terme, une augmentation du CO2 est généralement bénéfique à la photosynthèse des C3 mais sur le long terme, des mécanismes de compensation sont souvent observés chez les plantes qui subissent dans la durée une forte teneur en CO2. Ces mécanismes réduisent fortement l’effet bénéfique du CO2 initialement observé. Par ailleurs, l’augmentation du CO2 s’accompagne d’une augmentation de la température. Cette dernière peut être défavorable à la photosynthèse et, là encore, venir contre-balancer l’effet fumure carbonée. Néanmoins, l’augmentation de la teneur en CO2 de l’air pourrait avoir un effet bénéfique sur l’équilibre hydrique des plantes. En effet, l’entrée du CO2 dans les feuilles est associée à une sortie massive de molécules d’eau (la transpiration foliaire). Si le CO2 augmente à l’extérieur de la feuille, celle-ci pourrait diminuer sa conductance stomatique et perdre ainsi moins d’eau (les stomates sont des petits pores sur l’épiderme des feuilles qui permettent l’entrée du CO2 mais laissent sortir l’eau vapeur).  

Parmi les changements qui affectent notre globe, il y a non seulement l’aspect fumure carbonée dont nous avons parlé mais aussi un aspect fumure « azotée ». Je m’explique. L’azote est un élément clé intervenant dans les processus du vivant. La disponibilité de N est considérée comme le second facteur de limitation de la productivité de la biosphère après la disponibilité de l’eau. L’investissement en N pour l’appareil photosynthétique des plantes est considérable. Il se trouve que les activités humaines (industrielles, agricoles, urbaines, etc.) s’accompagnent d’émissions vers l’atmosphère de forme oxydée et réduite (NOx et NHy) d’azote. Ces formes, transportées par les courants atmosphériques peuvent retomber à des centaines de km de leur lieu d’émission et être utilisées par la végétation. Ainsi, les retombées atmosphériques de N constituent une fumure qui peut conjointement avec l’augmentation du CO2 favoriser la croissance des arbres.

Le constat serait donc positif ?

Je n’aurai pas une réponse aussi catégorique.

Par exemple, je travaille actuellement sur le fonctionnement de l’écosystème montagnard  (l’étage subalpin à environ 2000 m d’altitude). Il se trouve que du coté du plateau de Beille en Ariège, zone des Pyrénées considérée comme « peu » anthropisée, nous avons mesuré des retombées de l’ordre de 8kg/ha.an. Dans d’autres zones pyrénéennes proches de site industriels ou de territoires agricoles ces retombées peuvent atteindre 30 kg/ha.an.

Sachant que la disponibilité de N est un déterminant majeur du fonctionnement de la biosphère, on peut se poser la question des conséquences sur la productivité et la biodiversité des pelouses d’altitude. En comparant des inventaires d’espèces réalisés il y a plus de 50 ans à des relevés actuels, on constate une augmentation de la biodiversité en lien avec le réchauffement climatique et l’augmentation des retombées azotées. Certaines espèces de vallée ont donc pu s’installer progressivement en altitude sans pour autant « étouffer » les espèces endémiques de l’étage subalpin. Mais pour combien de temps ? Les espèces de vallée, nitrophiles et à croissance rapide pourraient dans le futur remplacer les espèces endémiques subalpines qui ont une faible capacité d’utilisation des ressources du milieu.

Pour les arbres, admettons que fumures carbonée et azotée soient bénéfiques à leur développement, une croissance accélérée ne va-t-elle pas entrainer une fragilisation de leur structure les rendant plus sensibles aux phénomènes extrêmes comme les tempêtes ?

Quelles solutions pour stocker ce carbone en quantité ?

Avec des collègues de l’IUT de Auch, et notamment un thésard, nous travaillons sur l’impact d’itinéraires techniques non conventionnels (agro écologie) sur le stockage du C dans le sol. Par exemple l’utilisation de culture intermédiaire (culture secondaire non récoltée mise en place entre les cultures principales) peut permettre d’enrichir en matière organique le sol (stockage de C et amélioration de la structure) et aussi en N si la culture intermédiaire est une « légumineuse » (Fabacée). Par ailleurs, un semi directe (sans labour) économise le passage du tracteur et, en diminuant l’aération du sol, peut permettre une augmentation de la teneur en matière organique de ce dernier.

Les bénéfices de la pratique de l’agro-foresterie sont également étudiés par de nombreux chercheurs. On ménage ainsi des bandes boisées dans les terres agricoles. Les bénéfices peuvent être importants comme par exemple :

 

  • Les bois peuvent ombrer et rafraîchir les cultures en période de forte chaleur,
  • La biodiversité est souvent accrue favorisant par exemple la lutte biologique,
  • Les rangées d’arbres sont des zones favorables aux pollinisateurs comme les abeilles sauvages,
  • Certains arbres ont la capacité (par association avec une bactérie) de fixer le di azote de l’air
  • Sous les arbres, le sol est enrichi en matière organique et constitue un stock de carbone.

En conclusion : la question du réchauffement climatique est dramatique : d’ici la fin du siècle, on pense que la concentration du CO2.sera doublée par rapport à son niveau du début du siècle (le fameux 2xCO2 soit 800 ppmv). Le réchauffement de plusieurs degrés (de 2 à 6°C ?) entrainera des modifications extrêmes de notre environnement avec l’augmentation du niveau des mers, la salinisation de certains sols générant une baisse de leur fertilité, le déplacement des populations végétales, animales et humaines, l’accroissement de l’occurrence de phénomènes météorologiques extrêmes, etc.

Peut-on néanmoins considérer que l’augmentation du CO2 n’aura pas que des conséquences néfastes? En termes de plantes cultivées, la plupart des espèces sont à photosynthèse mode C3 et en particulier le blé et le riz. Ces céréales composent une partie majeure de l’alimentation humaine. Peut-on imaginer une augmentation notable des rendements agricoles liée à la fumure carbonée (et azotée) ? Rien n’est moins sur comme nous l’avons évoqué (effet long terme versus effet court terme ; effet uni factoriel versus effet multi factoriel, etc.). La question reste donc ouverte.

Merci Thierry Lamaze  pour cet échange riche et constructif qui amène une fois de plus des éléments de réflexion à la question du bilan carbone et du réchauffement climatique.

 

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