Réchauffement climatique : quelles conséquences pour les arbres ?

28 juin 2019

Photo de Une : Vaisseaux de l'arbre qui se remplissent d'air par un phénomène de Cavitation

En ce début d’été, qui rime bien souvent avec vacances, plages, soleil et farniente, The Forest Time a souhaité se pencher sur un sujet qui nous concerne tous, quelle que soit la saison : le réchauffement climatique en France.

C’est dans les locaux de l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) à Clermont-Ferrand que nous avons rencontré Hervé Cochard, Directeur de Recherche en écophysiologie forestière. Accompagné de Ludovic Martin, chercheur Post-doctorant en écophysiologie forestière et de Philippe Balandier, Directeur de Recherche en écologie forestière à l’IRSTEA (Institut National de Recherche en Sciences et Technologies pour l’Environnement et l’Agriculture), Hervé Cochard prend appui sur ses travaux de recherche sur le fonctionnement hydraulique des arbres et leur difficulté à survivre par grande chaleur, pour répondre aux questions du Forest Time.

Nous travaillons sur les mécanismes de survie des arbres face aux sécheresses extrêmes et l’impact qu’elles peuvent avoir sur la survie forestière en général.

Pas de doutes, nous sommes bien dans le sujet.

Ce qu’il faut savoir sur les arbres et le réchauffement climatique

Le phénomène de cavitation

Nous aborderons donc la question du réchauffement climatique sous l’angle de l’alimentation en eau de l’arbre ou plutôt à son manque d’alimentation hydrique lorsque ses vaisseaux se remplissent d’air. Les arbres ont en effet la capacité de faire circuler la sève dans leur aubier grâce à leurs vaisseaux. Malheureusement lors de sécheresses extrêmes, comme celle que nous avons connue en 2003, les vaisseaux se remplissent d’air par un processus de cavitation pour aboutir à l’embolie gazeuse (une saturation d’air). Un phénomène que l’on peut constater chez les plongeurs par exemple ou que l’on compare dans le vocabulaire médical, à l’embolie sur l’homme.

Trop d’air dans les vaisseaux signifie dessèchement et mortalité de l’arbre. Reste à savoir quelles conditions de sécheresse génèrent des disfonctionnements pour ce dernier. En effet, toutes les sécheresses ne sont pas mortelles pour l’arbre, il a pu croitre pendant 80 ans et n’est pas mort à chaque embolie. C’est la régularité des périodes extrêmement chaudes et sèches qui à termes sont fatales. Dans chaque milieu, l’arbre met en place un système de résistance qui est efficace jusqu’à un certain point.

Il s’avère que le risque de cavitation a été faible ces 50 dernières années, il a connu un pic avec la canicule de 2003. Par contre, les scénarios sont moins optimistes aux vues des projections climatiques des décennies à venir. En effet, à la fin du siècle, avec 4°C de plus, le phénomène de 2003 risque de devenir annuel, à savoir une sécheresse caniculaire par an.

Réchauffement climatique : quelles conséquences sur les arbres ?

Plusieurs scénarios se profilent quant au comportement des arbres en France face au réchauffement climatique.

Les arbres s’acclimatent

Certains individus résistent plus que d’autres et s’acclimatent aux modifications du climat. Ainsi, ils peuvent être amenés à faire évoluer leur résistance à la cavitation. Toutefois, la plasticité des arbres est faible et cette résistance à la cavitation n’est pas une hypothèse sûre.

Par contre, pour lutter, il est possible que les plantes tendent à diminuer leur surface foliaire, afin de limiter leur besoin en eau. Il est certain que dans ce cas de figure, la productivité des arbres est bien moindre. Les conséquences risquent bien d’être catastrophiques en 2100.

Les arbres s’adaptent

Il est possible d’envisager l’adaptabilité des arbres en faisant de la sélection génétique afin de sélectionner les individus capables de résister aux grandes chaleurs. Encore faut-il que le processus d’adaptabilité de l’arbre aille à la même vitesse que celle du changement climatique qui semble s’accélérer. En effet le processus Darwinien est relativement lent, un arbre ne commençant à se reproduire qu’à l’âge adulte, souvent quelques décennies après avoir germé.

S’il existe naturellement une forte variabilité génétique, on peut espérer sélectionner des individus aptes à résister aux sécheresses futures. Mais quand on mesure la résistance à la cavitation, l’on constate que les individus d’une même espèce présentent plus ou moins la même vulnérabilité. Il est possible qu’au cours des siècles passés, que seuls les individus les moins vulnérables aient survécu.

Toutefois, le risque de voir l’effondrement de populations d’arbres est grand. Ces dernières auront-elles le temps de se reproduire pour s’adapter au changement climatique? Le risque est bien présent.

 

La migration

C’est une hypothèse qui est bien souvent retenue notamment en sylviculture. En effet, les espèces présentes dans le sud de la France sont bien plus résistantes à la sécheresse. Vers 2050,  le chêne pubescent semble être l’espèce de remplacement du chêne sessile. Mais à la fin du siècle, c’est le chêne vert qui survivra dans les forêts actuelles du sessile.

Une précision importante est ici nécessaire. L’Unité de recherche BIOGECO, qui étudie la Biodiversité, les Gènes et les Communautés à l’INRA de Bordeaux a étudié les plans d’aménagement du chêne vert et son déplacement sur les 100 dernières années. Il s’avère que le déplacement,  plus précisément la migration du chêne vert est plus lente que la déplacement de sa niche écologique sous l’effet du changement climatique.

Niche écologique : il s’agit du milieu occupé par une espèce et qui correspond à l’ensemble des conditions nécessaires à sa survie. Pour les arbres, les conditions climatiques et pédologiques sont les plus importantes.

Ce sont souvent les oiseaux qui véhiculent les graines des feuillus notamment les geais en ce qui concerne le chêne. Ces oiseaux doivent se déplacer avec l’arbre, ce qui implique tout un écosystème en mouvement, mais aussi une continuité du territoire. Le morcellement de l’habitat est donc un problème à ce niveau. Il est important de relier les massifs forestiers entre eux par des haies par exemple. Les programmes de « trame verte », « trame bleu » mis en place il y a une dizaine d’année par le Ministère de l’Environnement est d’ailleurs toujours d’actualité.

Crédit photo : Gérald Soligny

Il faut créer des corridors écologiques.

La migration est une solution qui n’est pas sans conséquences. En effet l’interaction animaux/végétaux ne va pas toujours de soi. Il y a aussi beaucoup de compétitions entre espèces.

D’autre part, les espèces montagnardes, comme les résineux n’ont que la solution de migrer en altitude, or ils sont déjà haut en Auvergne et ne pourront pas aller plus loin. La sapinière de moyenne montagne va avoir de grandes difficultés d’ici la fin du siècle.

La migration assistée : une solution déjà en pratique

La migration assistée consiste à transporter les graines par l’homme afin de favoriser de nouvelles espèces capables de résister et de survivre aux fortes températures et aux sécheresses futures.

En zone de Limagne en Auvergne par exemple, on peut favoriser l’expansion du chêne pubescent, une espèce plus résistante à la sécheresse que les chênes tempérés (sessile et pédonculé). Mais la difficulté sera à terme de conserver la même qualité de bois et la même productivité que des essences actuellement exploitées.

Les plantes exotiques

L’implantation d’espèces exotiques type Eucalyptus, Cèdre ou pins semble être une solution envisageable. Malgré tout ces espèces ont beaucoup de mal avec le froid et le réchauffement climatique n’exclue pas des épisodes de chute des températures ce qui peut être fatal aux essences méditerranéennes.

Les essences résistantes au réchauffement climatique ne sont pas exemptes de maladies, ce qui pose de sérieux problèmes.

Une réponse en sylviculture

Philippe Balandier rappelle que des évolutions des pratiques sylvicoles sont envisageables pour limiter l’impact du changement climatique, mais on peut s’attendre à un effet négatif sur la productivité des forêts. Par exemple : planter moins d’arbres à l’ha limite considérablement la consommation en eau d’une forêt et donc la rend moins vulnérable à une sécheresse.

« Evidemment le risque est grand de voir d’autres espèces arbustives ou herbacées occuper les espaces ainsi libérés et annuler l’effet escompté. C’est un juste milieu à trouver. »

Autre possibilité : effectuer de très courtes rotations (5 ans) qui sont possibles avec des essences comme l’Eucalyptus. Nous ne parlons plus de bois d’œuvre dans cette option qui est envisagée dans les Landes à la suite des tempêtes à répétition et qui ont décimé les pins à 10 ans d’intervalle.

« Le miscanthus est une plante qui produit des fibres végétales » souligne Hervé Cochard. Avec les technologies actuelles, on peut reproduire les propriétés du bois et utiliser cette matière dans les bâtiments. Une solution qui peut répondre à la nécessité de produire du bois malgré le réchauffement climatique.

Quelques idées reçues sur le réchauffement climatique

Le réchauffement climatique n’est pas un problème de pays riche/pauvre

Il faut penser global, ce sont tous les écosystèmes de la planète qui sont en péril. Les forêts tropicales humides tout comme celles des régions méditerranéennes peuvent être exposées à des stress hydriques qui induisent leur dépérissement. Avec le changement climatique, il y aura de plus en plus d’années très sèches ou très chaudes et ce, quel que soit l’endroit où l’on se trouve sur terre.

Le processus de survie des arbres est un phénomène global, mondial.

Planter des arbres c’est bien mais cela ne suffit pas

Planter des arbres permet de stocker davantage de CO2 mais il ne faut pas que ces arbres meurent, il ne faut pas non plus qu’ils soient brûlés auquel cas le CO2 retourne dans l’atmosphère. Il est important d’immobiliser les arbres notamment au travers de la construction.

De plus planter des arbres demande beaucoup d’eau pour les alimenter. Aussi, lorsque l’on veut agir contre le réchauffement climatique il est important d’avoir un raisonnement global  et faire un bilan hydrique et carboné.

La forêt n’a jamais été aussi dense en France

En 2019, on peut dire que la forêt a retrouvé la surface forestière qu’elle avait au Moyen âge. Les explications sont multiples. En effet, la loi RTM en vue de la restauration des Terrains en Montagne a permis de reboiser dès la fin de la 1ère guerre mondiale. Ensuite, le Fond Forestier National a, dès 1946 permis de générer une gestion plus dynamique de la forêt en France. Mais l’on peut dire que la déprise des terres agricole depuis la fin des années 50 a permis à la forêt de croître au fil des décennies.

Comme le souligne Ludovic Martin « aujourd’hui les essences qui souffrent le plus des sécheresses sont les résineux plantés en limite de leurs zones optimales de croissance (altitude trop basse par exemple). Les sapins de Vancouver et les épicéas subissent actuellement de forts dépérissements dans les zones de moyenne montagne, les Douglas sont également touchés mais à de plus basses altitudes. Dépérissement qui ne peuvent que s'accentuer avec le changement climatique».

Différence Climat/météo

Les grosses vagues de chaleur sans pluie apparaissent de plus en plus fréquemment et le phénomène de canicule vécu en 2003, tend à se reproduire régulièrement. C’est ce qui est extrêmement dangereux pour les arbres. En effet, la chaleur engendre de plus en plus d’évaporation et donc de sécheresse ce qui est dévastateur pour les feuilles : les cuticules ne font plus leur travail à très forte température et les feuilles connaissent des pertes d’eau non contrôlées.

Normalement la transpiration sert à refroidir les feuilles, c’est un système de climatisation naturel. Quand les stomates des plantes se ferment pour limiter la transpiration, la surchauffe est fatale.

Les arbres peuvent mettre plusieurs années à se remettre d’une sécheresse. C’est possible puisque les sapins et les chênes ont survécu depuis  la dernière glaciation qui remonte à 10 000 ans ! Mais on constate une mortalité des arbres régulière car les années de sécheresse sont consécutives. C’est l’effet répétitif de fortes chaleurs sans eau qui tue les plantes. C’est l’effet répétitif des sécheresses caniculaires qui tue les arbres.

Le fait que l’épisode de sécheresse de 2003 se renouvelle prouve bien que nous sommes en plein dans le réchauffement climatique et non un épisode de météorologie particulièrement sec. La répétition est inquiétante.

Aussi il est important de bien différencier le climat de la météo. La météorologie est basée sur du court terme. Elle est hyper variable et son irrégularité est d’ailleurs accentuée par le dérèglement climatique.

Le climat se mesure quant à lui sur une échelle de temps beaucoup plus longue, sur les conditions atmosphériques de plusieurs années. Ce qui permet de faire des prévisions sur la suite si rien n’est fait pour éviter un réchauffement global.

Conclusion

Un changement global

Il n’y a pas que le climat qui change.  Le taux de CO2 augmente également. Les espèces invasives comme frelon asiatique ou la pyrale du buis apparaissent régulièrement. De nombreux dérèglements sont liés à l’homme. Les océans s’acidifient. Les effets sur les arbres se produisent très tardivement et lorsque l’arbre atteint 80% de cavitation, on peut dire qu’il a atteint son seuil létal et meurt.

Il faut davantage anticiper ce changement climatique, les chercheurs ne peuvent pas amener toutes les solutions. Les pratiques de chacun doivent être changées notamment dans le traitement des parasites sur les arbres qu’il faut absolument isoler rapidement pour éviter la propagation.

A chacun de prendre sa part de responsabilité pour inverser la tendance du scénario « brulant ». Les hommes doivent adapter leur mode de vie à celui des forêts car les arbres n’ont pas eu la capacité de s’adapter aux changements climatiques liés à nos modes de vie.

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