La forêt sectionale

30 septembre 2023 écrit par Stéphanie Bonnet

L’administration de sections de commune en France engendre une situation singulière à laquelle doivent faire face un certain nombre de communes rurales. Elle renvoie à la question de l’aménagement du territoire et à la transmission intergénérationnelle des biens. La forêt sectionale fait partie de ces biens collectifs.

 La question de l’administration de sections de communes se pose fréquemment dans le Massif Central et sa bordure méridionale : Lozère, Cantal, Aveyron, Tarn, Puy-de-Dôme, Haute-Loire... Elle n’est pas simple. Son origine est très ancienne, en effet, on parle déjà de propriété collective du temps des Romains mais son administration est jalonnée de jurisprudence qui rendent sa gestion parfois compliquée. Les situations rencontrées notamment par les géomètres, ont toutes des singularités qui nécessitent des traitements spécifiques. Autant d’interrogations soulevées par Laurent Carrier, Géomètre-Expert à Clermont-Ferrand qui a réalisé son mémoire en vue de son titre de Géomètre-expert foncier DPLG sur les sections de commune en France.  Un sujet qui le passionne et qui est très peu abordé. Laurent Carrier a eu la gentillesse de se replonger dans ses recherches menées en 2018 et qui nous permettent de découvrir une spécificité rurale française ancestrale.

Laurent Carrier, Qu’est-ce qu’une forêt sectionale?

C’est une forêt qui est située sur une section de commune. Une section de commune est une structure de gestion concernant un secteur géographique d’une commune généralement par village ou hameaux dont les droits et biens appartiennent aux habitants de cette section et qui étaient bien antérieurs à la Révolution Française. Les biens situés sur cette section peuvent être des biens meubles ( titres, argent....) ou immeubles (terrains bâtis ou non bâtis, forêts, pâturages, landes, friches, étangs, chapelles, fours, moulins....).

 De quand date cette notion de section de commune ?

Historiquement, l’homme et le sol ont toujours eu une relation étroite, le sol étant, avec la ressource en eau, le seul moyen de subsistance. La domestication des mammifères herbivores a mis fin, en partie, à l’obligation de chasse et contribua au pastoralisme. L’être humain, nomade dans un premier temps, se sédentarisa donc avec le développement de l’agriculture. C’est à ce moment là que la problématique du sol apparut avec la notion de propriété, individuelle et collective. Au moyen âge déjà, cette part sectionale qui est bien souvent un champ ou une forêt, est mise à disposition des plus pauvres pour qu’ils puissent glaner et faire paitre leur bétail. On parle souvent de « communaux ».

C’est dans cette idée de propriété collective que les sections de communes ont forgé leur histoire et se sont inscrites dans un long processus législatif.

Deux dates marquent des repères dans l’histoire :

  • A la suite de la conquête romaine de la Gaule, au premier siècle avant Jésus Christ, le droit romain légiféra les usages d’une propriété dite « communs »;

 

  • A la révolution, deux lois sont renforcées et restent fondamentales :
    1. Le décret du 14 décembre 1789 de l’Assemblée Nationale, instituant les municipalités, est la loi fondatrice des communes. Un article de ce décret reconnait l’existence de biens et de revenus communs.
    2. La Loi du 10 juin 1793 relative au mode de partage des biens communaux pose les bases juridiques actuelles et consacre le terme de « section de commune ».

 

C’est la loi de 2013 qui a donné une personnalité juridique aux biens de sections. Il d’agit d’une personne morale de droit public. Même si elles ont failli disparaitre par dissolution, de fervents défenseurs des sections de communes ont de tout temps œuvré pour leur maintien.

 Combien existe-t-il de sections de communes en France ?

Malheureusement, peu de rapports quantifient le nombre de sections en France. Nous ne disposons pas non plus de documents avec des données exactes. On trouve qu’en 1975, il existait 16000 biens de section. En 1987, Georges Daniel MARILLIA, Conseiller d’Etat honoraire, ancien Président de la cour administrative d’appel de Nantes et du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, dans son ouvrage « La section de commune » aux éditions « La vie communale et départementale »,  retient le nombre de 40 000 sections de communes pour une surface de 200 000 ha. En 1999 il existerait en France 27 000 biens de sections mais aucun chiffre n’est cohérent, il est donc très difficile de les quantifier.

On dit qu’il existerait 200 000 ha en bien de section dans le Massif Central. Ce n’est pas rien, cela représente un département de la taille de l’Essonne !

 Existe-t-il beaucoup de forêts  sectionales en France ?

Il s’avère que 66% des biens de sections immeubles non bâtis sont des forêts. Ce qui laisse penser que les forêts sectionales occupent dans les 90 000 ha dans la zone du grand Massif Central ce qui est conséquent. Ce sont des forêts qui sont généralement administrées soit par une commission syndicale ou en l’absence de celle-ci par le conseil municipal de sa commune de rattachement. La commission syndicale est composée des membres de la section.

Je précise qu’un membre d’une section doit être résident du village concerné par la section.

Quel village est représentatif dans le Puy-de-Dôme ?

Je me suis beaucoup penché sur le cas de Vollore Montagne qui est une commune extrêmement boisée. Ce village comprend 24 sections correspondant aux nombreux hameaux de la commune. Les biens de sections sont essentiellement de la forêt.

Quels sont les droits des habitants de la section sur ces forêts sectionales ?

Et bien ces derniers peuvent disposer du bois des arbres de la section pour l’utiliser en bois de chauffage et également en bois de construction.

Ces habitants de section bénéficient donc de l’affouage, c’est le terme utilisé. Ils payent également une taxe annuelle modique.

C’est l’Office National des Forêts qui a la charge de gestion des forêts sectionales. L’argent des coupes de ces forêts servent à les gérer.

Il faut savoir qu’une forêt sectionale est soumise au régime forestier.

Existe-t-il d’autres bien sectionaux courants dans le Massif Central ?

Oui on trouve également des terrains agricoles. L’exploitant paye alors un bail à la section. Ce budget est indépendant du budget communal et doit être géré dans une ligne à part. Les commissions syndicales en charge de leur administration sont souvent non constituées ou non constituables. Les communes se substituent souvent pour administrer et payer les impôts de ces sections.

Les élus des communes sont responsables de ces biens mais ne peuvent prendre la décision de les vendre car ils ne leur appartiennent pas.  La gestion est parfois inextricable et les secrétaires de mairies sont bien souvent en grande difficulté pour avoir un interlocuteur juridiquement habilité.

Bon à savoir : une commune peut demander la communalisation de la section afin de l’administrer comme le reste de son patrimoine. C’est toutefois une décision de la préfecture suite à la demande de la commune. Elle demande alors le transfert des sections dans le patrimoine communal. C’est la loi de 2013 qui en pose les conditions. 

 Les sections de commune ont-elles un avenir ?

On ne sait pas de quoi l’avenir sera fait, donc pour moi oui, elles sont capitales.

Elles peuvent être utiles dans les décennies à venir ne serait-ce que pour manger. La terre a une vocation sociale forte et on en aura peut-être bien besoin dans le futur.

Le député du Puy-de-Dôme André Chassaigne, entre autres, a défendu dans les débats de la loi de 2013 les sections de commune pour les maintenir dans les communes comme des biens collectif.

Pourquoi les biens de sections attirent autant votre attention ?

Parce qu’en tant que géomètre, je suis régulièrement confronté à leur bornage et à leurs problèmes de représentants. Cela pose question. Aussi, j’ai proposé dans mon mémoire, une série de process, de solutions suivant les cas de figure rencontrés.

Les juristes et spécialistes considèrent les sections de comme une curiosité administrative avec une nature juridique imprécise. Le Conseil Constitutionnel entretient ce flou en les définissant comme une institution administrative à caractère singulier. Les élus ou les praticiens confrontés aux sections de commune sont au fait de sa singularité et en subissent les contraintes. Comme l’a écrit George Daniel MARILLIA, dont les écrits m’ont beaucoup servi dans la rédaction de ce mémoire :  

Les sections de commune apparaissent souvent aux juristes comme des cœlacanthes : ils en ont entendu parler dans le manuel de droit administratif, mais en croyaient l’espèce éteinte. 

Les élus peuvent trouver  dans le géomètre-expert, un partenaire, un conseiller. En effet, ses connaissances et son expertise en terme législatif, cartographique et cadastral apporte la plus –value indispensable pour une prise de décision. De plus, le fonctionnement des sections de commune a su s’adapter aux évolutions de la société, du moyen âge  à nos jours. Il y a fort à parier qu’il en sera de même dans l’avenir. En ce sens, le rôle et les contributions du géomètre-expert resteront encore longtemps d’actualité.

 

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