La forêt : l’antichambre du monde sauvage

31 août 2019 écrit par Stéphanie Bonnet

Nous pourrions présenter Didier Gavens comme étant le directeur de la Fédération Interdépartementale des Chasseurs d’Ile de France (F.I.C.I.F), ce qu’il est effectivement. Mais  il serait regrettable de le résumer en une fonction. Car Didier Gavens est multiple. De part ses expériences professionnelles, ses connaissances encyclopédiques du monde de la chasse et de la forêt et sa passion des espaces sauvages d’où il a tiré un enseignement tout aussi dense, il nous offre dans ce numéro de septembre, une analyse de l’histoire de la chasse et de la forêt qui nous donne des clés de lecture pour décrypter une passion partagée par 1,1 millions de chasseurs en France.

Un « ovni » issu du monde rural et urbain

C’est ainsi que se présente Didier Gavens lorsqu’on lui demande de retracer son parcours. Elevé entre deux monde foncièrement opposés que sont Paris et les Causses du Quercy, cet ancien forestier, diplômé de l’ex-INAPG, du MNHN, de l’Université Paris-Dauphine, qui se revendique avant tout comme géographe globe-trotter, a tiré des enseignements et des règles des deux univers qui ont forgé l’homme. « Le monde sauvage obéit effectivement à des règles que j’ai assimilées au cours de mon enfance lorsque j’ai découvert le Tarn et Garonne de mon grand-père. Avec lui, j’ai appris à chasser, piéger, à faire le feu en gardant les brebis sur le Causse ». L’ambivalence entre les deux mondes a fait naître une alchimie qui a généré une véritable fascination du monde sauvage. «  J’ai toujours voulu explorer les extrêmes ce qui m’a permis de pousser les limites du monde urbain et du monde rural ». Très vite il devient forestier. Aujourd’hui, il l’analyse en puisant ses conclusions dans l’étymologie. « La sylviculture vient du mot latin sylva (sylve) qui signifie « lieu où naissent les bêtes sauvages ». Quant à la forêt, le mot vient du mérovingien « Foris » : ce qui est à l’extérieur. A l’extérieur du monde civilisé. La forêt depuis que la civilisation existe est un lieu « orbi » en dehors de la civilisation, un espace qui était assimilé à des zones obscures et dangereuses où l’on ne s’aventure pas. Le commun des mortels ne pouvaient d’ailleurs pas aller y chasser, le pouvoir seigneurial s’y exerçait vigoureusement.

Didier Gavens ne voit donc pas la forêt comme un espace de production de ligneux mais plutôt un lieu de production d’animaux, une source de vie sauvage qui le fascine. « Les forestiers font de la sylviculture en cultivant des lieux où naissent les bêtes sauvages ».

« Je suis devenu forestier, le métier à l’antichambre du monde sauvage ».

Une fascination qui l’a poussé dans toutes ses activités au travers du monde.

Forestier en Afrique

Subjugué par la forêt primaire, Didier Gavens s’envole pour le Rwanda dans les années 80 comme volontaire du service national. Il travaille pendant deux ans à la mise en place de boisements pour fournir du bois de chauffe et du bois d’œuvre à la population locale et pour préserver la dernière grande forêt équatoriale d’altitude : la forêt Nyungwe. Une expérience et des amitiés qui le marqueront à vie. Là il initie ce que l’on ne recommandait pas il y a 30 ans : il incite à planter des eucalyptus, des pins patula et des cyprès qui sont des essences à croissance rapide et qui poussent sur des sols extrêmement pauvres. « J’ai écouté les anciens qui m’ont fait part de leurs expériences et de leurs souhaits, ils m’ont expliqué que de vieux boisements d’Eucalyptus datant de la fin du XIXème siècle avaient été effectués et que les résultats étaient satisfaisants. Une fine couche de terre s’était même constituée. J’ai fait confiance aux paysans et j’ai eu l’immense satisfaction l’année dernière au cours d’un voyage dans ce beau pays, de constater la régénération naturelle de nos plantations passées. J’étais très ému ».

Ce qui pousse le forestier à conclure « la forêt ne pousse que par les hommes. Les hommes ont une fonction importante en forêt, elle doit être gérée». Pour lui la technique est moins importante que le savoir ancestral des hommes.

De retour en France Didier Gavens exerce des fonctions de formateur, puis d’audit environnemental et repart en Afrique notamment pour structurer la filière de la gomme arabique, ressource naturelle au Tchad.

Forêts et livres : des fenêtres pour décrypter le monde

On l’a vu dans les lignes précédentes, le travail en forêt a été un moyen d’accéder à ce monde sauvage découvert dans l’enfance par Didier Gavens. C’est en lisant beaucoup que ce dernier a acquis un savoir qu’il partage généreusement aujourd’hui.

Surpris de n’avoir jamais eu l’opportunité de suivre des cours d’histoire forestière, il nous dresse un bref historique de la forêt qui nous permet de mieux comprendre la pratique de la chasse en France.

La forêt, un espace politique

Didier Gavens ne parle pas du rôle économique de la forêt en France car il considère que cette dernière n’est pas prise au sérieux : « si c’était le cas, on récolterait au moins le fruit de l’accroissement annuel moyen de nos forêts, or, ce n’est pas le cas. Le rôle financier est clair : on place 1 euros que l’on retrouve 100 ans après. Mais je ne pense pas que le rôle économique soit considéré ».

En revanche, la forêt en France a un rôle symbolique,  patrimonial et affectif indéniable et c’est aussi lié à l’histoire du pays.

Pour Didier Gavens, la forêt en France obéit à des décisions politiques. En effet, on a, par exemple, reboisé les Landes avant tout pour assécher le marais et enrayer le paludisme.

Après 1789, la royauté de l’Ancien Régime met du temps à mourir et continue de prôner son idéologie dominante basée sur Dieu et le Roi. En réponse à la monarchie, la république crée l’Ecole Polytechnique et tente de démontrer que les sciences pourront sauver les hommes ou en tout cas améliorer leur sort. Les grands reboisements du XIXème siècle sont initiés par les républicains qui souhaitent aussi reconquérir la forêt. Deux écoles s’affrontent alors : Polytechnique et l’Ecole forestière (menée par des nobles). Ces nobles spoliés par la révolution sont devenus forestiers via l’administration forestière et ont d’ailleurs actuellement repris leurs biens. (Conf. les ouvrages de sociologues comme Frédéric Le Play et Pierre Bourdieu).

La chasse liée au pouvoir

Quant à la chasse, elle a toujours été l’apanage du roi. Le droit de chasser pour les paysans a d’ailleurs été inscrit dans les premières revendications du cahier des doléances lors de la révolution de 1789. On revendique en effet le droit de chasser sur les terres.

Depuis le XVIIIème siècle jusqu’à aujourd’hui, le droit de chasse a toujours été lié au droit de propriété. L’un marche avec l’autre. La chasse et la forêt constituent des enjeux, des lieux où s’exerce le pouvoir et donc une reconnaissance sociale. La chasse est liée au pouvoir, aux affaires. Le droit de chasse est jalousement gardé par les propriétaires et on ne déroge pas à la règle.

La chasse : une part d’irrationnel

La chasse rejoint la forêt dans le sens où l’on ne maitrise pas la part d’irrationnel qu’elle soulève.  La forêt c’est le rêve de posséder son coin de paradis, de liberté. La chasse, c’est revenir à l’état primaire, maitriser un espace. On est dans le symbolique, le sacré.

La chasse en 2019

Pour Didier Gavens, la chasse se réinvente en permanence. Elle fait partie de l’histoire de l’homme qui chassait d’abord pour se nourrir d’autre chose que les charognes que laissaient les tigres à dent de sabre par exemple. Mais pour chasser collectivement, l’homme a dû s’organiser, se synchroniser, œuvrer ensemble pour arriver à un résultat.

« La chasse, c’est célébrer un mythe séculaire qui m’oblige à lire un espace sauvage, qui me pousse au défi, c’est humain. Nous avons ce côté prédateur en nous qui est canalisé par la chasse. »

La femme aujourd’hui est très présente dans la chasse. Il s’agit pour elle d’un acte social mais aussi politique : pendant des siècles, ce rite collectif était masculin. Aujourd’hui la femme investit l’espace de la chasse qui n’est absolument pas une question de force physique. La femme marque ainsi sa position.

En 2019, l’image du chasseur est bien meilleure qu’au début des années 2000. On compte de nombreux jeunes licenciés mais la pyramide des âges est défavorable. Le milieu familial n’est désormais pas le seul à recruter. Le cercle amical est très important et pousse un bon nombre de néophytes à se lancer dans ce loisir qui demande beaucoup de qualités et physiques et intellectuelles.

« Investir dans un domaine de chasse est un très bon choix même si la chasse est souvent vilipendée. Acheter un domaine pour la chasse n’a pas toujours bonne presse. Investir dans un domaine de chasse n’en reste pas moins un bon placement ».

L’essence du Chasseur

Forêt et chasse sont intrinsèques à la nature de Didier Gavens. La forêt le structure, la chasse relève de l’accomplissement d’un mythe séculaire. « Je ne suis pas un chasseur de perdreaux mais un chasseur de grand gibier en forêt. J’aime les épicéas, les chênes de Tronçais comme les chênes nains du Quercy. Je ne chasse pas pour réguler du gibier, ce serait être hypocrite. Je chasse pour accomplir un rite dans un lieu qui me permet d’être en communion avec la nature."

La chasse, comme la gastronomie est une activité qui rassemble en créant un lien particulier. Elle relève du symbolique. 
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