Leçon de sylviculture
Pour un passage de la futaie régulière à la futaie irrégulière à couvert continue
Par Jean-Philippe ROUX
Il était intéressant dans cet article de revenir sur les origines de la futaie régulière en France, suite notamment aux politiques forestières des années 50 avec le Fond Forestier National. Premières plantations en résineux, reboisements intensifs en montagne après guerre expliquent le nombre de futaies uniformes, très denses, que l'on appelle futaies régulières.
En parallèle, nous aborderons un autre type de sylviculture, complémentaire, à savoir le maintien de la forêt en futaie irrégulière.
Petit retour en classe pour une leçon "grandeur nature"!
La futaie réguliere et irréguliere
La futaie régulière
La futaie régulière est un bois ou une forêt composée de grands arbres issus de semis ou de plantations et d’âges sensiblement identiques dans une parcelle choisie. Le but est de permettre aux plus beaux arbres de s'épanouir afin d'élever des arbres de grandeur et de diamètre homogène. Cette technique sylvicole répond bien aux besoins de l'industrie du bois.
La futaie irrégulière
La futaie irrégulière est également une forêt issue de semis ou de plantations mais à la différence de la futaie régulière, elle est constituée d'arbres d'âges, d'essences et de tailles variées sur une parcelle donnée. On coupe progressivement des arbres malades ou dangereux mais en dosant subtilement le prélèvement.
Les origines des forêts plantées en résineux, en France
Les forêts de résineux sont très souvent des futaies régulières en France. Il est intéressant de se concentrer sur certaines régions caractéristiques.
En Aquitaine
Le massif forestier aquitain situé dans le sud-ouest de la France couvre une superficie de près d’un million d’hectares. Il s’agit de la plus grande forêt artificielle d’Europe occidentale. François Jules Hilaire Chambrelent, ingénieur des Ponts et Chaussées que l’on appelle le père de la forêt landaise, a séduit l’Empereur Napoléon III par ses travaux d’assainissement de plaines inondées pendant une grande partie de l’année. Une loi de 1857 obligea les communes à assainir et ensemencer leurs landes, c’est ainsi que la forêt des Landes prit peu à peu le visage qu’on lui connait aujourd’hui. Elle est essentiellement plantée en pins maritime.
En montagne
Le reboisement intensif du Fonds Forestier National (FFN) qui a débuté en 1946 et dont l'action duré jusqu'en 1999, a permis à la France de boiser des surfaces importantes surtout en régions de moyennes montagnes (Massif Central, Morvan, Vosges, Occitanie). Ces massifs ont principalement été ensemencés en résineux, Pin Douglas, Épicéas et Mélèzes.
A partir des années 60 /70, à la suite de l’exode rural et au grés des successions, ces plantations ont été peu à peu délaissées par leurs propriétaires qui était souvent des éleveurs et des paysans. Les plantations sont devenues des futaies uniformes, très dense (futaie régulière).
Limites de la futaie régulière
Ces futaies régulières ont conduit à une impasse sylvicole car le peuplement étant devenu exploitable à un âge compris entre 45 et 80 ans et en l’absence de régénération naturelle significative, La pratique de la coupe rases est la plus souvent adoptée. Pour repartir inévitablement sur une nouvelle plantation.
Nous appelons cela la révolution des peuplements. C’est un cycle infini (plantation, coupes rases, travail lourd du sol, replantation, coupes rases …). Nous sommes dans ce cas sur un schéma plus proche de l’agriculture que de la sylviculture. L'exemple est très visible dans le département des Landes et en Gironde mais aussi en moyenne montagne.
Ce traitement conduit à une impasse car nous devons repartir de zéro après la coupe finale, travailler en profondeur le sol forestier pour replanter, ce qui a pour effet de modifier considérablement le biotope forestier sur plusieurs décennies.
Quid de la futaie irrégulière
Un autre type de sylviculture est complémentaire à la futaie régulière, quel que soit le stade de maturité des peuplements, c’est le maintien de la forêt en futaie irrégulière à couvert continu. Cette pratique consiste à ne plus passer par une coupe rase sauf évènement climatique majeur.
Le principe est simple et pratiqué depuis des siècles par les sylviculteurs. Il consiste à ne pas prélever plus que la nature ne peut offrir. Cela implique une croissance annuelle du peuplement forestier entre 2 et 3% selon les essences forestières.
Un travail régulier de prélèvement, de sélection, de crochetage du sol et de mise en lumière des peuplements est alors nécessaire pour profiter d’une régénération naturelle.
Un enrichissement des essences est aussi possible par des plantations de faible superficie, dites « plantations par parquet ».
Un enjeu pour lutter contre le réchauffement climatique
En raison des enjeux de la lutte contre le dérèglement climatique et de la prise de conscience du rôle que joue la forêt pour notre planète, la technique de sylviculture dite « futaie irrégulière à couvert continu » est remise au goût du jour par de nombreuses associations, experts et ingénieurs forestiers.
La futaie irrégulière à couvert continu permet de ne plus jamais passer par une coupe rase, sauf en cas d’évènement climatique majeur (tempête, incendie ou problème sanitaire).
Atouts de la futaie irrégulière à couvert continu
En outre, un peuplement mélangé en âge et en essences est plus stable au vent, offre une protection maximum contre les attaques des insectes et les champignons qui sont à l’origine des principaux dépérissements.
Le couvert continu permet également de prévenir les sècheresses dues au dérèglement climatique par un savant mélange d’ombres et de lumière qui préserve les plants d’avenir.
Les récoltes et les revenus sont plus nombreux et de meilleure qualité.
La forêt conserve ainsi tous ses services sans interruption :
- Sur le plan physique : protection contre l’érosion, filtre à eau avec rôle de tampon, dépollution de l’air, effet modérateur local sur la température, frein au vent....
- Sur le plan biologique : la forêt constitue un important siège de biodiversité, lieu de vie pour une multitude d’êtres vivants assurant son équilibre et sa stabilitéé aussi bien au niveau de l’espace aérien que de l’écosystème du sol.
- Sur le plan social : la forêt est considérée comme un refuge fondamental de la nature pour la détente, le ressourcement et comme un élément essentiel des paysages,...
- Sur le plan de la production : l’homme a depuis toujours utilisé les ressources forestières et ce besoin reste entièrement à satisfaire avec la production de bois, une matière première entièrement renouvelable et indispensable à l'activité humaine.
Focus sur la gestion en futaie irrégulière.
Le maintien d’une couverture forestière permanente, sans phase de coupe rase, garantit un accroissement biologique optimal de la forêt, en vue d’une production continue de bois de la meilleure qualité possible. Cela garantit également la protection des sols, de l’eau et des équilibres biologiques en cours. Le mélange d’essences, de dimensions et de stades de développement des arbres apporte une résilience écologique et économique supplémentaire, un stockage maximal de carbone, ainsi qu’un agrément pour les paysages et le cadre de vie.
